La minute droit de Maître Raison : le principe de proportionnalité

Véranda, cabanon de jardin, terrasse… remise en état d’installations irrégulières sur des parties communes à usage privatif : attention à l’application du principe de proportionnalité !
La Cour d’appel de Caen a jugé, dans un arrêt du 30 avril 2024[1], que l’édification par des copropriétaires d’une construction sur des parties communes à usage privatif sans autorisation de l’assemblée générale était irrégulière et devait être sanctionnée par la démolition des ouvrages, sous réserve qu’une telle mesure ne soit pas disproportionnée au regard des intérêts en présence. L’arrêt rappelle que l’action du syndicat des copropriétaires n’est pas enfermée dans le délai de droit commun de cinq ans, mais bien dans le délai trentenaire attaché aux actions réelles immobilières.
La nature particulière des parties communes à usage privatif est susceptible de causer des difficultés pratiques liées notamment à leur appropriation irrégulière par les copropriétaires disposant d’un droit de jouissance exclusive.
L’article 6-3 de la loi du 10 juillet 1965 définit les parties communes à jouissance privative et fixe leur régime :
« Les parties communes à jouissance privative sont les parties communes affectées à l'usage ou à l'utilité exclusifs d'un lot. Elles appartiennent indivisément à tous les copropriétaires. Le droit de jouissance privative est nécessairement accessoire au lot de copropriété auquel il est attaché. Il ne peut en aucun cas constituer la partie privative d'un lot. Le règlement de copropriété précise, le cas échéant, les charges que le titulaire de ce droit de jouissance privative supporte. »
Par nature, un lot constitutif d’un droit de jouissance privative ne pouvant « en aucun cas constituer une partie privative », il conserve sa nature de partie commune. La jurisprudence de la Cour de cassation confirme la lettre de la loi et considère que « l’attribution d’un droit d’usage privatif sur une partie commune ne modifie pas le caractère de partie commune et le copropriétaire qui veut effectuer des travaux sur les parties communes dont il a la jouissance privative doit solliciter l’accord de l’assemblée générale des copropriétaires »[2].
Les bénéficiaires d’un droit de jouissance privative sur une partie commune ont donc, comme tous copropriétaires, l’obligation de solliciter l’autorisation de l’assemblée générale pour y effectuer des travaux, conformément aux dispositions de l’article 25 b) de la loi du 10 juillet 1965[3].
La Cour d’appel de Caen a été amenée à se prononcer sur la construction par des copropriétaires, sans autorisation de l’assemblée générale, sur des parties communes dont ils avaient la jouissance privative, des ouvrages suivants :
• une extension du rez-de-chaussée de leur appartement en créant un garage-buanderie ;
• un cabanon de jardin.
Deux copropriétaires ont engagé une action en justice aux fins d’obtenir la démolition de ces installations. Ces demandes ont été déclarées irrecevables comme prescrites par la Cour d’appel de Rennes, saisie en appel de la décision rendue par le tribunal de grande instance de Nantes. La Cour de cassation a annulé cette décision, et a renvoyé les parties devant la Cour d’appel de Caen.
1- Dans son arrêt du 30 avril 2024, la Cour d’appel de Caen a rejeté l’argument tiré de la prescription et déclaré recevables les demandes de remise en état.
La Cour d’appel a considéré que les actions avaient pour objectif de mettre fin à une appropriation illicite d’une partie commune et se prescrivaient par trente ans[4].
Les juges d’appel ont ainsi rappelé que l’action aux fins de suppression d’un empiètement sur parties communes est une action réelle immobilière soumise à la prescription trentenaire en application de l’article 2227 du Code civil. En conséquence, la prescription quinquennale de droit commun fixée par l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965 pour les actions personnelles entre copropriétaires ou entre un copropriétaire et le syndicat n’est pas applicable.
2- S’agissant des demandes de démolition, la Cour d’appel de Caen a prononcé des sanctions différentes en fonction de la nature des constructions illicites.
La sanction de la construction sans autorisation d’installations sur partie commune peut être la démolition de l’ouvrage litigieux[5], et cela quelque soit la taille de l’empiètement[6]. La Cour de cassation a pu juger que « dès lors que la remise en état des lieux dans leur état primitif est demandée par le syndicat, la Cour ne peut qu’y faire droit » et « à cet égard, elle n’est pas compétente pour apprécier l’opportunité de la solution destinée à maintenir les travaux réalisés sans autorisation et proposée par le copropriétaires contrevenant »[7].
En l’espèce, la démolition du cabanon de jardin a été ordonnée par les juges, considérant que l’édification d’un ouvrage nouveau sur des parties communes sans autorisation de l’assemblée générale constituait en elle-même une appropriation illicite, quelle que soit son emprise au sol.
Cependant, la démolition du garage-buanderie a été rejetée par la Cour d’appel, qui a considéré que cette mesure était disproportionnée au regard :
• De la nature et de l’ampleur des inconvénients qui pèseraient sur les défendeurs pour procéder à la remise en état initial ;
• De l’ancienneté de la construction et de l’absence d’action des demandeurs durant près de 20 ans ;
• De la conformité de l’ouvrage avec le permis de construire obtenu préalablement à son édification ;
• De l’absence de préjudice subi par les demandeurs du fait de l’installation litigieuse. Il faut noter sur ce point que le syndicat des copropriétaires n’était pas partie à l’instance pour revendiquer l’atteinte portée à son droit de propriété.
Les juges d’appel appliquent ainsi l’article 1221 du Code civil, qui limite l’exécution en nature d’une obligation en cas de disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier. La Cour d’appel semble considérer que la bonne foi des copropriétaires contrevenants est démontrée en l’espèce, et permet de rejeter la demande de remise en état au regard des inconvénients qu’elle leur causerait et de l’absence de démonstration de l’existence d’un préjudice subi par les demandeurs ou par la copropriété.
Notre conseil : Il est indispensable de ne pas laisser s’installer ou perdurer dans les copropriétés des situations irrégulières portant atteinte aux droits du syndicat des copropriétaires. A défaut d’action rapide, le risque de rejet des demandes de remise en état est augmenté. Le syndic doit donc être particulièrement vigilant, dans le cadre de sa mission d’entretien et d’administration des parties communes.
[1] CA de CAEN, 1ère chambre civile, 30 avril 2024, n°22/03005
[2] Civ. 3ème, 23 janvier 2020, n°18-24.676
[3] Article 25 b) loi du 10 juillet 1965 : « Ne sont adoptées qu'à la majorité des voix de tous les copropriétaires les décisions concernant : (…) b) L'autorisation donnée à certains copropriétaires d'effectuer à leurs frais des travaux affectant les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble, et conformes à la destination de celui-ci ; »
[4] Article 2227 du Code civil : « Le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. » - Article 42 de la loi du 10 juillet 1965 : « Les dispositions de l'article 2224 du code civil relatives au délai de prescription et à son point de départ sont applicables aux actions personnelles relatives à la copropriété entre copropriétaires ou entre un copropriétaire et le syndicat. »
[5] Civ. 3ème 18 juin 1975 ; 25 novembre 1998 ; 15 décembre 1999 ; 20 novembre 1996 ; 17 juin 1997 ; 4 novembre 1999.
[6] Civ. 3ème 17 avril 1991.
[7] Civ. 3ème 15 janvier 2003, CA de Paris 19 novembre 1997 ; 26 septembre 2002.
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