La minute droit de Maître Raison : l’inaction du copropriétaire bailleur

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copropriétaires montrant un document à un copropriétaires bailleurs

Que peut faire le syndicat des copropriétaires lorsqu’un copropriétaire bailleur reste inactif devant les manquements de son locataire aux dispositions du règlement de copropriété ?

Les syndicats de copropriétaires rencontrent fréquemment des problématiques liées à des agissements fautifs imputables au locataire d’un lot. Ces situations peuvent se trouver difficiles à résoudre lorsque les propriétaires bailleurs restent inactifs devant les infractions de leurs locataires.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a rappelé dans un arrêt du 15 novembre 2023[1], que le syndicat des copropriétaires pouvait solliciter en justice, à la place du propriétaire bailleur, la résiliation forcée du contrat de bail par le biais de l’action oblique.

 

1. Le mécanisme de l’action oblique pour obtenir la résiliation forcée du contrat de bail

Aux termes de l’article 1341-1 du Code civil : « Lorsque la carence du débiteur dans l'exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial compromet les droits de son créancier, celui-ci peut les exercer pour le compte de son débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne. »

Il ressort de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 une obligation pour les copropriétaires de s’assurer que l’usage et la jouissance de leurs parties privatives ne portent pas atteinte aux droits des autres copropriétaires ou à la destination de l’immeuble. Sur ce fondement, les copropriétaires bailleurs se trouvent responsables envers la copropriété des nuisances causées par leurs locataires. Ils sont donc débiteurs envers le syndicat des copropriétaires d’une obligation de s’assurer que l’occupation de leurs parties privatives n’emporte aucune atteinte aux droits des autres occupants de l’immeuble.

En conséquence, la jurisprudence reconnaît au syndicat des copropriétaires la possibilité de solliciter la résiliation judiciaire du bail à la place du copropriétaire bailleur qui resterait inactif devant les troubles causés par son locataire à la copropriété.

L’exercice de cette action est subordonné à plusieurs conditions :

• Le copropriétaire bailleur doit être resté inactif malgré sa connaissance des nuisances causées par son locataire.

• Le syndicat des copropriétaires doit démontrer que le locataire a violé les obligations contractuelles mises à sa charge par le contrat conclu avec son bailleur.

 

Sur ce point, il convient de rappeler que l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 oblige le locataire à user paisiblement les locaux loués suivant la destination qui leur a été donnée par le contrat de location et que l’article 1729 du Code civil autorise le bailleur à résilier le bail lorsque le preneur n’use pas de la chose louée raisonnablement. Il est par ailleurs fréquent que le contrat de bail impose aux locataires de respecter les dispositions du règlement de copropriété. En tout état de cause, le locataire est soumis au statut de la copropriété déterminé par les dispositions légales et celles du règlement de copropriété, qui lui sont donc opposables[2]. Leur violation est donc de nature à constituer une infraction à ses obligations contractuelles et légales.

Il est ainsi constant, et cela a été consacré par la Cour de cassation[3], qu’un « syndicat des copropriétaires peut exercer, en cas de carence du copropriétaire bailleur, une action en résiliation d’un bail, par la voie de l’action oblique, dès lors que le locataire contrevient aux obligations découlant de celui-ci et que ses agissements, qui causent un préjudice aux autres copropriétaires, sont en outre contraires au règlement de copropriété, sans avoir à justifier de l’existence d’un préjudice »[4].

Ainsi, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a considéré que la résiliation judiciaire du bail était justifiée lorsque l’activité commerciale exercée par le locataire dans les parties privatives était différente de celle prévue dans le contrat de bail commercial et s’inscrivait en violation du règlement de copropriété[1].

 

2. La possibilité de solliciter des dommages et intérêts pour trouble anormal de voisinage

Lorsque l’action en résiliation forcée du bail est justifiée par les atteintes portées aux droits des autres copropriétaires par le locataire, le syndicat des copropriétaires peut solliciter l’indemnisation du préjudice subi du fait des troubles anormaux du voisinage qui en découlent.

Le nouvel article 1253 du Code civil a entériné le régime, jusqu’alors jurisprudentiel, des troubles anormaux du voisinage dans la loi, et prévoit que : « Le propriétaire, le locataire, (…) qui est à l'origine d'un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte. »

Afin d’obtenir indemnisation de son préjudice, le syndicat des copropriétaires doit en établir l’existence et surtout démontrer au tribunal qu’il est victime d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage.

Dans son arrêt du 15 novembre 2023, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a reconnu le caractère anormal du trouble constitué par l’existence de nuisances olfactives (odeurs nettes et fortes de friture), nuisances auditives (bruit de l’extracteur de fumées), encombrement des parties communes (dépôts sauvages de marchandises, ordures et produits polluants). La Cour a retenu que l’intensité et la fréquence des nuisances permettait de démontrer leur caractère anormal et justifiait l’indemnisation du syndicat des copropriétaires du préjudice subi.

Notre conseil : Le syndic est chargé de l’administration et de l’entretien de l’immeuble, et de l’application et du respect des dispositions du règlement de copropriété. Sa responsabilité pourrait être engagée s’il n’agissait pas pour faire cesser les atteintes portées à la copropriété.

Dès lors, il convient de :
1. Informer le copropriétaire bailleur de l’existence des troubles et l’enjoindre à prendre toute mesure de nature à les faire cesser ;
2. A défaut de réaction, réitérer ces demandes par le biais d’une mise en demeure par avocat ;
3. Inscrire à l’ordre du jour de la prochaine assemblée générale une résolution aux fins d’autorisation d’engager une action judiciaire à l’encontre du copropriétaire bailleur et de son locataire pour obtenir la résiliation judiciaire du bail et l’indemnisation des atteintes subies.

L’existence de nuisances imputables au locataire, de nature à justifier la résolution du bail et l’octroi de dommages et intérêts, doit être démontrée au tribunal par le syndicat des copropriétaires. A cet effet, il convient de produire un nombre suffisamment important d’éléments objectifs. Ainsi, peuvent être produits notamment des attestations de témoins (occupants de la copropriété et visiteurs), les dépôts de plainte éventuels (pour tapage diurne ou nocturne, agression, vandalisme, etc.) et surtout des constats de commissaire de justice constatant l’existence des nuisances. Il conviendra donc d’avertir les copropriétaires de la nécessiter de constituer suffisamment de preuves.

[1] Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 15 novembre 2023, n°021/02329 ;
[2] Cour d'appel de Paris, 2 décembre 1982 et article 13 de la loi du 10 juillet 1965 ;
[3] Cass. 3ème civ., 14 novembre 1985, n° 84-15.577 ;
[4] Tribunal judiciaire de Paris, 8e ch. 2e sect., 18 juill. 2024, n° 22/10133.

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