La minute droit de Maître Raison : l’acquisition d’un droit de jouissance

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Bureau avec immeuble miniature, balance de droit et marteau

L’acquisition d’un droit de jouissance exclusive sur parties communes par voie de prescription


Les parties communes sont l’objet d’une propriété indivise entre les copropriétaires[1], qui en usent et jouissent librement[2].
Par exception, l’usage de certaines parties communes peut être réservé exclusivement à un seul copropriétaire: le législateur les définit comme des parties communes à jouissance privative.


L’article 6-3 de la loi du 10 juillet 1965 fixe leur régime juridique :
« Les parties communes à jouissance privative sont les parties communes affectées à l'usage ou à l'utilité exclusifs d'un lot. Elles appartiennent indivisément à tous les copropriétaires.
Le droit de jouissance privative est nécessairement accessoire au lot de copropriété auquel il est attaché. Il ne peut en aucun cas constituer la partie privative d'un lot.
Le règlement de copropriété précise, le cas échéant, les charges que le titulaire de ce droit de jouissance privative supporte. »

Classiquement, dans les immeubles en copropriété, les terrasses ou les jardins attenants à des lots privatifs sont susceptibles de faire l’objet d’un droit de jouissance exclusive.

Il arrive que, par un usage toléré dans la copropriété depuis de nombreuses années, un droit de jouissance exclusive ait été accordé de manière tacite à certains copropriétaires. Il est fréquent que ce droit de jouissance ne soit jamais remis en question, jusqu’à l’arrivée dans la copropriété de nouveaux occupants s’interrogeant sur la régularité de la situation.


Récemment, la Cour de cassation a été saisie après que la Cour d’appel de Paris a reconnu l’existence d’un droit de jouissance exclusive sur un jardin partie commune attenant à un lot privatif, acquis par prescription trentenaire.

En effet, le droit français reconnaît la prescription comme un moyen d’acquérir la propriété[3]. Ainsi, en matière immobilière, la démonstration d’une possession continue, non équivoque, paisible et publique sur un bien durant au moins trente ans permet à son auteur d’en revendiquer la propriété[4].

La jurisprudence a reconnu qu’il était possible d’acquérir par prescription acquisitive un droit de jouissance sur les parties communes et cela notamment :
-          Pour des emprises privatives sur le terrain de la copropriété[5] :
-          Pour des enseignes apposées sur les parties communes de la copropriété[6].



Dans son arrêt du 12 décembre 2024, la Cour de cassation a confirmé la décision des juges d’appel qui ont reconnu l’acquisition de la jouissance exclusive du jardin par prescription acquisitive. La Cour d’appel avait retenu qu’il ressortait des pièces fournies aux débats que « le jardin était, au moins depuis 1975, à l’usage exclusif du propriétaire dudit lot qui en détenait la seule clé d’accès (…), (…) qu’aucun autre copropriétaire n’avait revendiqué un droit d’accès au jardin (…) et que les frais d’entretien avaient toujours incombé au propriétaire du lot, état de fait avait perduré après l’acquisition du bien par [son propriétaire actuel] en 2009, [ce dernier] ayant été autorisé par l’assemblée générale à en modifier l’aménagement et en restaurer la clôture à ses frais ».

Ces éléments constituaient des « actes matériels de possession d’un droit d’usage exclusif sur ledit jardin, incompatibles avec une simple tolérance du syndicat des copropriétaires »[7], de nature à reconnaître l’acquisition d’un droit de jouissance exclusive attaché au lot privatif.

Outre la « privatisation » de l’usage d’une partie commune, qui prive par nature les autres copropriétaires de la possibilité d’en jouir, l’octroi d’un droit de jouissance privative emporte des obligations pour le copropriétaire qui en bénéficie, notamment en ce qui concerne le paiement des charges afférentes. La prise en charge des frais engagés pour la partie commune à jouissance privative doit en principe être fixée par le règlement de copropriété. La répartition des charges entre le syndicat des copropriétaires et le copropriétaire est établie en fonction de la nature des frais engagés. La prise en charge sera différente selon que les frais sont relatifs à des dépenses importantes liées aux gros œuvre ou simplement à de simples travaux d’entretien courant.


      
Notre conseil : L’autorisation donnée par l’assemblée générale à certains copropriétaires d’aménager des parties communes à leur usage exclusif est susceptible d’entériner un véritable droit de jouissance privative. Dès lors, le syndicat des copropriétaires doit être prudent lorsqu’il accorde de telles autorisations et il appartient au syndic de le mettre en garde.

 

    

[1] Article 4 de la loi du 10 juillet 1965
[2] Article 9 de la loi du 10 juillet 1965
[3] Article 2228 et suivants du Code civil
[4] Articles 2261 et 2272 du Code civil
[5] Cass. 3e civ. 24 octobre 2007, n°06-19.260
[6] Cass. 3e civ., 22 oct. 2020, n° 19-21.732.
[7] Cass. 3e civ., 12 décembre 2024, n°23-12.804

 

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